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Sandecker se gara près d’une petite marina située à une soixantaine de kilomètres au sud de Washington. Il sortit de sa voiture et contempla un long moment le Potomac. Le ciel était d’un bleu très pur et le large ruban des eaux vertes se déroulait vers la baie de Chesapeake. Il descendit une échelle branlante menant au dock flottant. Tout au bout était amarré un vieux bateau de pêche.
Sa coque avait été mise à mal par des années de navigation intensive et presque toute la peinture avait disparu. Le diesel tournait au ralenti, crachant de petits nuages de fumée. Le nom du bateau, l’Hoki Jamoki, s’inscrivait en lettres à demi effacées sur l’arrière.
L’amiral regarda sa montre, Il était midi moins vingt, Il hocha la tête d’un air satisfait. Il y avait à peine trois heures qu’il avait informé Pitt de la situation et les recherches en vue de retrouver l’Eagle avaient déjà débuté. Il sauta sur le pont, salua les deux techniciens qui installaient le sonar puis entra dans la timonerie. Pitt examinait une photo satellite avec une loupe.
« Vous n’avez rien déniché de mieux ? » demanda Sandecker.
Pitt leva la tête avec un sourire amusé :
« Le bateau, vous voulez dire ?
— Effectivement.
— Il n’est peut-être pas très beau mais il fera l’affaire.
— Aucun des nôtres n’était disponible ?
— Si, mais j’ai choisi cette barcasse pour deux raisons. D’abord, c’est un excellent outil de travail et ensuite, si on a vraiment enlevé un bâtiment du gouvernement avec des hauts personnages à bord pour le couler, les coupables doivent s’attendre à des recherches sous-marines intensives. De cette façon, nous pourrons agir sans trop nous faire remarquer. »
Le patron de la N.U.M.A. s’était borné à lui raconter qu’un bateau de l’arsenal maritime avait été volé à l’embarcadère de Mount Vernon et qu’il avait été probablement sabordé.
« Qui vous a parlé de hauts personnages à bord ?
— Les hélicoptères de l’armée et de la marine grouillent comme des sauterelles et on pourrait presque traverser le fleuve à sec tellement les garde-côtes sont nombreux. Vous ne m’avez pas tout dit, amiral, loin de là. »
Sandecker ne répondit pas. Il devait s’avouer qu’il était bien difficile de tromper Pitt. Il savait que son silence ne pourrait que confirmer les soupçons de celui-ci. Il se contenta pourtant de demander, évitant le sujet :
« Vous avez une raison particulière pour commencer si loin de Mount Vernon ?
— Oui. Une raison qui nous économisera quatre jours de travail. J’ai pensé que le bateau avait pu être repéré par l’un de nos satellites, mais j’ignorais lequel. Les satellites espions n’orbitent pas au-dessus de Washington et les photos prises par les satellites météo ne sont pas assez détaillées.
— Et d’où tenez-vous celle-là ? demanda l’amiral en désignant la feuille que Pitt était en train d’étudier.
— D’un ami du département de l’Intérieur. L’un de leurs satellites de surveillance géologique est passé à 950 kilomètres au-dessus de la baie de Chesapeake et a pris un cliché aux infrarouges. Il était 4 h 40 du matin, jour de la disparition du bateau. Si vous examinez à la loupe l’agrandissement de cette partie du Potomac, vous constaterez que le seul navire que l’on distingue en aval de Mount Vernon se trouve à environ 1 mille au-dessous de ce dock. »
Sandecker étudia la petite tache blanche sur la photo. L’image était étonnamment nette. On apercevait le pont et la silhouette de deux personnes. Il leva la tête pour dévisager son directeur des projets spéciaux.
« Il n’y a aucun moyen de prouver que c’est bien le bâtiment que nous cherchons, lâcha-t-il.
— Je ne suis pas né de la dernière pluie, amiral. C’est l’Eagle, le yacht présidentiel.
— Je ne vous mentirai pas, répliqua calmement Sandecker. Mais je ne peux pas vous en dire plus. »
Pitt haussa les épaules et garda le silence.
« Où pensez-vous qu’il soit ? »
Les yeux verts de Pitt s’assombrirent. Il lança un regard aigu à l’amiral et saisit un compas.
« J’ai étudié les caractéristiques de l’Eagle. Sa vitesse maximale est de 14 nœuds. La photo a été prise à 4 h 40, soit une heure et demie avant le lever du jour. Les hommes qui se sont emparés du yacht ne pouvaient prendre le risque d’être vus et ils l’ont probablement coulé sous le couvert de l’obscurité. En tenant compte de ces données, on peut estimer que l’Eagle a parcouru tout au plus 21 milles.
— Ça fait malgré tout une sacrée zone à explorer.
— Je crois que nous pouvons réduire le champ des recherches.
— En nous limitant au chenal ?
— Oui. Si j’avais organisé l’affaire, je l’aurais coulé le plus profondément possible pour éviter toute découverte accidentelle.
— Quels sont les fonds moyens indiqués par les cartes ?
— 10-12 mètres.
— Ce n’est pas suffisant.
— Exact. Mais d’après certains sondages, il existe des trous de plus de 30 mètres. »
Sandecker regarda par la vitre de la timonerie. Il vit Al Giordino s’avancer sur le dock, portant des bouteilles d’air comprimé sur ses larges épaules. Il se tourna à nouveau vers Pitt et le considéra pensivement.
« Si vous tombez sur l’Eagle, vous ne devez en aucun cas pénétrer à l’intérieur, déclara-t-il d’un ton catégorique. Votre boulot consiste à le retrouver et à l’identifier, rien d’autre.
— Qu’y a-t-il dedans que nous n’ayons pas le droit de voir ?
— Je ne vous répondrai pas.
— Allez, vous savez que je suis curieux, fit Pitt avec un sourire ironique.
— Et comment ! Que pensez-vous qu’il y ait à l’intérieur ?
— Qui, vous voulez dire.
— Quelle importance ? fit prudemment Sandecker. Il est sans doute vide.
— Vous me prenez pour un imbécile, amiral ? Bon, quand on aura trouvé le yacht, qu’est-ce qu’on fait ?
— Vous passez la main au F.B.I.
— Tout simplement ?
— Ce sont les ordres.
— Qu’ils aillent se faire foutre !
— Qui ?
— Ceux qui jouent à ces petits jeux.
— Croyez-moi, ce n’est pas un petit jeu », répliqua l’amiral.
Les traits de Pitt se durcirent.
« Nous en jugerons quand nous aurons localisé le yacht.
— Je vous assure que vous ne tiendrez pas à voir ce qui se trouve peut-être dans l’épave », affirma Sandecker.
A peine avait-il prononcé ces paroles qu’il les regrettait. Il savait maintenant que Pitt n’en ferait plus qu’à sa tête.